Philippe OSTERMANN

Philippe Ostermann

Directeur Général chez Dargaud et Directeur Editorial de Blake et Mortimer sur les quatre derniers albums, Philippe Ostermann nous ouvre les portes de l’intérieur, dans l’univers de l’éditeur et se prête au jeu des questions…

Pouvez-vous nous décrire votre parcours jusqu’aux éditions Dargaud ?
Je suis depuis toujours un lecteur de bandes dessinées, même si je n’ai pas fait d’étude dans ce secteur. J’ai un parcours classique qui passe par une école de commerce, trois ans d’audit et dix ans à Télérama où j’ai un peu changé de voie puisque j’ai commencé comme contrôleur de gestion et j’ai terminé comme Directeur Adjoint en charge de plusieurs magazines dont Ulysse et les Hors séries de Télérama. Puis, j’ai rencontré Guy Vidal et je suis rentré comme Directeur Editorial Adjoint chez Dargaud il y a maintenant dix ans. J’en suis maintenant le Directeur Général Délégué.

Et quel est votre rôle ?
J’ai une double casquette : à la fois Directeur Editorial, en charge de la stratégie éditoriale sur des projets et des auteurs et Directeur Général Délégué, en charge de tout le reste. Concernant Blake et Mortimer, j’en ai été responsable dès mon arrivée, c’est-à-dire en 2000 où j’ai travaillé avec Ted Benoit sur les quinze dernières planches de l’Etrange Rendez-Vous… Ce qui prend tout de même environ près d’un an.

C’est désormais Yves Schlirf en Belgique qui est Directeur Editorial de Blake et Mortimer.

Comment se passe le choix de la couverture et du titre ?
Cela dépend. Le choix du titre se fait généralement à l’écriture du scénario, mais il peut être modifié en cours de route ou bien être choisi à la fin parce qu’une meilleure idée est apparue entre-temps. Pour la couverture, il n’y a pas de règle.

Pour le dernier album, le titre était déjà trouvé au départ ?
Oui, c’était la Malédiction des Trente Deniers. Mais Jean Van Hamme connaît déjà son titre dès le début et c’est rare qu’il change.

Est-ce que, lors des reprises, il y a des éléments qu’il est impensable de mettre dans une aventure de Blake et Mortimer ?
Cela reste un album tout public, donc effectivement la violence explicite ou l’érotisme n’ont pas leur place dans l’histoire. De même que l’humour n’a pas grand-chose à faire non plus dans un Blake. On n’est pas dans Tintin , il ne peut donc pas y avoir le gag du sparadrap du Capitaine Haddock. On peut saupoudrer de connivence britannique, de private joke mais pas de gros gags. On est dans de l’aventure tout public.

Dès l’Affaire Francis Blake, il a été pris en considération que les reprises devaient se dérouler au moment de la Marque Jaune, aussi bien au niveau graphique que temporelle. Ce qui, au bout d’un moment pose des problèmes, et peut créer des anachronismes. Vous avez déjà évoqué ce souci avec les auteurs et trouvé des solutions ?
La plupart es aventures de Blake peuvent se dérouler dans des temps assez courts, un mois ou deux, il y a donc beaucoup de latitude pour de nombreux albums.

Il faut également ne pas dater les histoires pour faire en sorte de laisser libre cours à l’interprétation. Certes, il y a des albums qui le sont effectivement, comme dans La Machination Voronov avec la rencontre de John Lennon et Paul Mc Cartney.

La légende voudrait aussi que Jacobs vérifie tout, soit extrêmement précis, qu’il n’y ait jamais une erreur dans ses livres, etc., ce qui’est pas forcément exact. Les spécialistes savent que l’excuse de la poubelle dans le premier tome des 3 formules du Professeur Sato dont il n’avait pas la photo et qui l’empêchait de poursuivre l’album était plutôt une excuse afin de repousser l’écriture des planches.

Les aventures de Blake et Mortimer se passeront donc bien dans les années 50 afin qu’il y ait l’archétype de ce qu’on a envie de retrouver dans une de leurs aventures. Le monde moderne n’a pas grand intérêt pour les deux héros.

Recevez-vous beaucoup de propositions de dessinateurs et/ou auteurs pour travailler sur Blake et Mortimer ?
Pas tant que ça. On en reçoit de temps en temps mais ce n’est pas énorme.

On connaît les planches d’essais de Sterne, Stanislas, Bravo… Est-ce qu’il y a d’autres noms connus de la BD qui ont œuvré aussi à des essais ?
Possible, mais ça, vous ne le saurez jamais… rire

Depuis quelques albums, les aventures se déclinent sur plusieurs volumes (2 pour les Sarcophages, voire 3 si on inclut le Gondwana), 2 pour la Malédictions des Trente Deniers. Est-ce un choix volontaire ou un hasard ?
Il y a certaines histoires qui tiennent sur 54 ou 64 pages et d’autres qui tiennent sur 120. A un moment donné, Yves Sente et Jean Van Hamme ont souhaité développer des histoires un peu plus denses. Ça dépend des histoires, mais il y aura des one shot par la suite.

Est-ce qu’une troisième équipe serait envisageable ?
A priori non.

Donc, toujours deux duos d’auteurs ?
Oui, peut-être même plus qu’un seul… A voir…

Jean Van Hamme devait arrêter la série après le Tome 2 de la Malédiction. Il a annoncé la possibilité de repartir pour un 5e album, Est-ce vrai ?
Oui.

Après l’album de Sente/Juillard ?
Après un ou deux albums de Sente et Juillard. C’est difficile de se projeter dans l’avenir car cela nous mène déjà à 2014/2015.

Ce n’est donc pas exclu qu’il continue ?
Jean peut écrire autant de scénarios de Blake et Mortimer qu’il le souhaite

Est-ce que René Sterne devait réaliser le 2e tome ou bien, comme on peut le lire en ce moment, un autre dessinateur était déjà envisagé ?
C’est totalement faux. René Sterne était un dessinateur absolument exceptionnel et il devait dessiner les deux albums, il n’y avait pas l’ombre d’un doute. Ses planches sont parmi les plus belles qui ont été réalisées sur Blake et Mortimer.

Quand sortira le tome 2 ?
L’année prochaine à la même période.

Et actuellement, vous en êtes à combien de planches ?
Antoine Aubin a crayonné déjà une quarantaine de pages et attaquera prochainement l’encrage. Il fait de l’excellent travail. C’est plus proche de Ted Benoit faisant du Blake et Mortimer que de René Sterne.

Il y aura aussi 54 planches ?
Oui.

Après la malédiction, ce devrait être un album Sente/Juillard. Est-ce qu’il y a déjà des idées, un travail dessus ?
Yves avait deux synopsis et je pense que c’est le premier qui va être choisi, c’est-à-dire un retour en Angleterre, Cambridge, dans une atmosphère policière. Pas de science-fiction comme dans les précédentes aventures mais plus l’esprit de la Marque Jaune ou l’Affaire Francis Blake.

Quels ont été les tirages de chaque album de reprise ?
C’est entre 550 et 650 000 exemplaires suivant les albums avec 700 000 pour l’Affaire Francis Blake qui était la première reprise.

Et en terme de vente, cela suit la même logique ?
Tout à fait.

Quels sont les albums de Jacobs qui se vendent le mieux ?
Sur les deux dernières années, c’est le Secret de l’Espadon Tome 1, puis le Mystère de la Grande Pyramide Tome 1 et La Marque Jaune. Ceux qui se vendent le moins sont le Rayon U et le premier tome des trois Formules du Professeur Sato. Le Tome 2 est d’ailleurs, à peu de choses près, au même niveau de vente que le Tome 1.

Mais dans l’ensemble, il n’y a aucune différence entre un Jacobs et une reprise.

Un tirage de tête noir et blanc est-il prévu pour La Malédiction des Trente Deniers ?
C’est Yves Schlirf qui s’occupe des tirages de tête Blake depuis le début. Il y aura un tirage luxe exceptionnel à la fin du diptyque comme pour les Sarcophages.

Le tome 2 de Philip et Francis est-il toujours prévu pour le début 2010 ?
Non, il est repoussé pour 2011.

Un 3e album de cette série est-il envisagé ?
Sans aucun problème.

Est-ce que des albums de Blake et Mortimer, dans un style différent, pourraient être envisagés, comme c’est par exemple le cas pour Spirou ?
Je ne pense pas. Ce qui a été fait sur Spirou est très intelligent, mais il y avait, dès le début de très nombreux dessinateurs avec des styles différents, de Rob Vel à Franquin, en passant par Jijé ou Janry. Sur Blake et Mortimer, c’est différent. Car nous avons conservé une continuité, une ligne directrice éditoriale et graphique. Donc on ne va pas multiplier les expériences.

Votre orientation sur les livres en multimédia : iPhone, ebook… ?
Je pense que dans 4 ou 5 ans la qualité de lecture sur ebook sera la même que sur papier et auquel cas, que l’on lise son Blake sur papier ou sur écran ne procurera aucune trahison de l’œuvre ou de l’esprit. Actuellement lire un album de Jacobs, notamment avec les pavés de texte sur iPhone, cela enlève une grande partie du plaisir de la lecture.


Interview réalisée par Ludovic Gombert le 26 novembre 2009.