Son personnage de Ray Banana fait désormais parti des classiques de la bande dessinée tandis que sa reprise de Blake et Mortimer en 1996 a été saluée aussi bien par le public que la critique. Adepte de la ligne claire, qu’il abandonne néanmoins de plus en plus, Ted Benoit aime expérimenter les nouveaux horizons graphiques, comme au temps de Métal Hurlant ou L’Echo des Savanes. Ainsi, on peut le (re)découvrir sur Internet via son blog. Il s’est prêté pour nous au jeu des questions/réponses…
Vous avez commencé à la fin des années 60. Avec le recul, comment voyez-vous l'évolution du monde de la Bande Dessinée ?
La disparition de la presse écrite a changé toute la donne depuis cette époque. A l'époque où j'ai démarré, tout fonctionnait autour d’elle. Au début, sa disparition ne m'a pas frustré outre mesure car je dessinais en parallèle des albums, même si au départ ce n'était pas forcément mon objectif. C'est plus tard que d'une manière générale nous nous sommes rendu compte de la perte qu'on avait subie avec la disparition des journaux.
Même si j'ai fait de la ligne claire, pour moi la bande dessinée n'est pas franco-belge. Il ne faut pas oublier qu'à l'origine on la trouvait dans la presse quotidienne américaine qui avait un rôle fondamental et apportait un coté d'immédiateté dans le fait de publier quelque chose de très vite fait, avec des délais de livraison très courts. Avec les albums, on a un temps de réflexion et de travail beaucoup plus important qui apporte certes un gage de qualité mais parfois au détriment de la spontanéité.
Aujourd'hui, je travaille beaucoup sur Internet car je retrouve cet esprit, même si c'est sur un blog, avec peu de visiteurs, et je n'ai pas de pression pour être régulier. J'essaye toutefois d'avoir cette obligation d'être régulier.
L'autre différence, quand j'ai commencé la bande dessinée, était que j'arrivais à un moment où il y avait une grosse explosion du phénomène et très peu de dessinateurs. On sentait comme une fusion entre les genres. Par exemple, à l'époque je lisais Charlie mensuel, et c'était vraiment intéressant de voir la combinaison entre le classique et les nouveaux courants apportés par certains dessinateurs. Cela existe toujours mais je pense que c'était plus frappant à cette époque car c'était une originalité d'envisager la bande dessinée sous des angles inédits. On avait l'impression d'être "conscient" alors qu'avant cela se faisait « juste comme ça ».
Après cette explosion, il y a eu de plus en plus de personnes qui voulaient faire de la BD, de plus en plus d'éditeurs, et maintenant on est un peu perdu car il y a trop de choses. Aujourd'hui j'ai arrêté un peu d'en lire. Quelqu'un disait : "quand on produit de la culture, on arrête de consommer de la culture". J'ai stoppé pour la BD, car je trouve que c'est un peu incompatible d'en faire et d'en lire. Si on en lit trop, on est trop en réaction par rapport à ce qui se fait d'autre : je vais trouver soit que les autres sont bien meilleurs que moi et cela va être inhibant, soit qu'ils sont mauvais et dans les deux cas, c’est dommage.
Il n'y a plus vraiment de magazine permettant de faire découvrir de nouveaux talents ou en tout cas, de présenter des histoires qui ne seront pas forcément disponibles en album, ou quoi qu'il en soit, de laisser libre cours aux dessinateurs et de faire des recherches graphiques. Cela manque ?
C'est vraiment plus une question de société qu'un phénomène sur la bande dessinée. Quand j'ai commencé, il n'existait pas ce que l'on appelle des fanzines. Mais dans les années 60, il y a eu toute une contre-culture, une presse parallèle, qu'on appelait "underground", avec de la bande dessinée car c'était une forme d'expression qui s'y pratiquait beaucoup mais il ne s'agissait pas de magazines dédiés exclusivement à la BD. Ce phénomène était surtout présent aux Etats-Unis car en France, il y avait des magazines BD mais plutôt destinés aux enfants comme Spirou ou Tintin.
Cela vient d'une culture jeune qui s'exprimait à l'époque avec ces outils. Je pense que cela apparait quand c'est lié à autre chose dans la société et pas forcément une forme d'art. S'il y avait quelque part un mouvement générationnel, cela pourrait produire plus facilement une presse bande dessinée. La plupart des magazines actuels servent plutôt de prépublication pour les éditeurs.
Que pensez-vous de la polémique actuelle sur les séances de dédicaces qui se retrouvent ensuite sur des sites de vente comme par exemple eBay ?
C'est un vieux serpent de mer, tout le monde râle après cela depuis une éternité. La dédicace, c'est dévoyer quelque chose qui a un sens et que j'ai toujours essayé de garder : le contact avec le lecteur, c'est-à-dire pouvoir parler avec lui, même si c'est brièvement. Et très vite, j'ai remarqué que si vous parliez avec un lecteur un peu plus de trente secondes, les autres dans la queue rouspétaient parce que cela retardait leur dédicace. Je ne fais pas beaucoup de dédicaces. J'ai en tout cas arrêté de faire des feuilles libres, je les dessine maintenant toujours sur un album. J'ai tendance à faire les dessins au crayon, alors désormais je rédige les mots à l'encre pour éviter que l'on gomme après. Je réagis un peu contre ça mais c'est une habitude tellement ancrée dans les moeurs maintenant que c'est difficile à changer. Et il y aura toujours des petits malins qui iront les vendre après.
Utilisez-vous l'outil informatique pour travailler ?
Oui, mais finalement assez peu. Je ne suis pas de cette génération, j'ai besoin de lire les modes d'emploi. Et puis je n'aime pas trop dessiner à la palette graphique ; il n'y a pas le contact physique et je n'y prends pas vraiment de plaisir. Par contre, je m'en sers pour autre chose, j'ai tendance à faire des esquisses en plus petit et les projeter pour en faire le dessin définitif en agrandissant. Je scanne, je réduis, j'imprime, je projette.
Je suis aussi obligé de réaliser pas mal de retouches à l'ordinateur car maintenant pour n'importe quel travail commandé, on vous demande un fichier. Vous ne donnez plus l'original, ce qui a des avantages. Le gros inconvénient est qu'il faut dessiner au format du scanner ou alors scanner en plusieurs morceaux et assembler les dessins, ce qui est toujours un peu compliqué.
Il y aura donc toujours des originaux de Ted Benoit !
Oui c'est vrai, bien que cela m'oblige souvent à dessiner au format A4. Je travaille aussi la couleur sur l'ordinateur. Jamais à l'encre couleur car je n'aime pas trop. Je préfère de beaucoup la gouache, mais c'est très compliqué d'arriver à avoir un trait au-dessus. L'ordinateur est donc un bon outil pour la couleur.
Depuis maintenant un an, il existe le blog "Les Pensées Improbables de Ray Banana", pouvez-nous nous en parler ?
C'est arrivé à cause de deux choses : un ras-le-bol du dessin ligne claire et une lassitude à dessiner des décors en perspective très élaborés. Et surtout, j'avais envie de retrouver l'immédiateté de la presse, comme je l'évoquais tout à l'heure. Je voulais que l'idée prime sur le dessin. Il y a très longtemps, dans le journal Libération, Willem a écrit de moi : "Est-ce qu'on peut identifier un dessin de Ted Benoit ? Non, on ne peut pas !", parce que je n'avais pas de style bien défini, je changeais souvent. J'ai été très vexé et finalement je me suis rendu compte que je n'étais pas très attaché à un style, que j'aimais bien changer. Je me fiche un peu du "beau dessin", ce qui compte c'est le résultat.
Avec ce blog, je peux faire passer des idées et j'avais envie de parler aux lecteurs plus directement, qu'à travers la fiction. Il y a beaucoup de choses dans le monde que je n'aime pas, qui m'énervent et j'avais envie d'en parler sans râler. C'est pour cela que le personnage de Ray Banana est philosophe et pose des questions plus qu'il ne donne de réponses.
Un peu comme le chat de Philippe Geluck ?
Tout à fait et j'ai beaucoup d'estime pour le chat.
Les dessins donnent souvent l'impression d'un travail rapide.
Il y a parfois des dessins très mauvais. Une fois j'ai ressorti des dessins bâclés que j'avais réalisés pour une commande qui ne me plaisait pas, et je les ai publiés dans le blog de l'Association du Crayon, dont je suis membre, sous le titre "Dessins ratés, mauvais dessins". Mes collègues se sont écriés que j'étais fou, qu'il ne fallait jamais faire ça. Tout le monde veut se montrer à son meilleur, et du coup cela donne une uniformisation de son style que je regrette. J'aime être surpris. Et en fait, ces dessins ratés n'étaient pas si mauvais, parce que j'étais en colère contre le dessin, et que cette colère est intéressante.
Il y a donc une volonté d'introduire le hasard dans le dessin. Je fais de petites esquisses, je les projette, je dessine sur un papier bristol au crayon bleu, pour ne pas avoir à le gommer parce qu'on peut ensuite l'éliminer au scan. Ce crayon bleu a tendance à glisser sur le bristol, donc au crayonné mon dessin est déjà imprécis, puis je dessine au Bic, qui lui aussi glisse un peu. Il y a au final plein de choses ratées qui tiennent du hasard et qui m'intéressent. Quand les dessins sont trop mauvais, je les refais, mais parfois je les laisse. Je trouve intéressant que le hasard joue un rôle dans mon dessin.
J'aimerais bien trouver une publication mais il n'y a plus de presse bande dessinée. L'idéal serait de paraître dans l'Express ou un journal généraliste, pas forcément avec un tirage aussi important, mais c'est très difficile. Je l'ai proposé à plusieurs mais pour l'instant cela n'a pas été plus loin. Par exemple au "Monde", le directeur artistique a dit " Ah oui, Ted Benoit, la ligne claire, j'aime beaucoup, mais là franchement je ne comprend rien". Je vais m'acharner et je finirai par le publier en bouquin mais j'aimerais bien que cela soit en presse écrite, même si c'est un petit tirage, simplement pour le plaisir.
L'accent est mis sur le personnage de Ray Banana, pas vraiment sur vous. C'est un moyen de faire dire des choses ou passer des messages au travers d'un personnage ?
Si c'était moi, ce ne serait pas pareil. Au début, ce personnage de Ray Banana était l'opposé de moi, puis au fil du temps, j'ai regardé les points que l'on pouvait avoir en commun. Je sais en tout cas que je serais moins philosophe que lui
Mais à la base, Ray Banana est un voyou !
Absolument. A l'origine c'est un escroc. Mais maintenant c'est plus un Mister "Natural" (personnage de Robert Crumb - ndlr). Il a d'ailleurs son disciple, un journaliste qui l'interviewe.
Ray Banana, c'est un peu vous, comme Hergé disait "Tintin c'est moi" ?
Oui mais Hergé a été scout, je n'ai jamais été un escroc. Bien sûr, on ne peut pas dire que l'auteur n'est pas dans le personnage mais ce que j'ai toujours trouvé intéressant c'est quand les personnages vous échappent et Ray Banana m'a vite échappé.
Et un Ray Banana par quelque d'autre ?
C'est possible. J'ai d'ailleurs collectionné pendant un moment les dessins de Ray Banana par d'autres auteurs. Mais dans ce cas, ce serait moi qui tirerais les ficelles derrière, comme par exemple scénariste.
A propos de Ray Banana… Un album était prévu chez Dargaud : "Rio de las animas", qu'en est-il ?
Pour l'instant j'ai arrêté. Dans l'histoire, il est mort, il ne le sait pas et il est au purgatoire. C'était un peu philosophique et je trouvais que c'était trop. L'album est donc en stand-by et peut-être qu'il ne se fera pas.
Sur votre blog ainsi que dans différents livres ou magazines, vous n'hésitez pas à montrer des photos ou dessins de lieux ou de personnes qui ont inspiré tel ou tel dessin dans vos albums. C'est une démarche peu commune parmi les auteurs qui généralement ne dévoilent pas (ou peu) leurs sources.
Ah bon ? Je ne me rends pas compte. Je ne m'en suis jamais caché. Généralement, quand je m'inspire c'est pour rendre un hommage. Quand ce sont des lieux réels, ce ne sont pas des hommages, mais j'aime bien qu'il y ait un univers autour. Quand j'ai trouvé ces vieilles photos d'immeubles que j'ai utilisées pour Berceuse Electrique, je trouvais ça très intéressant.
Je n'ai pas trop de complexe. J'admire beaucoup la photo, j'ai de très nombreux livres de photos chez moi car je trouve que dans la photo il y a un mystère qu'il n'y a pas dans le dessin. A part la photo mise en scène, travaillée, le type était là, il a vu quelque chose, il a fait la photo et il n'y a que lui qui a vu. Il fait sortir ce qu'il a vu, et qui ne serait pas forcément la même chose que ce quelqu'un d'autre pourrait voir. Il y a un coté hasard. La manière dont j'utilise ces photos… j'y mets quelque chose dedans. Parfois, quand je dessine une case de décor, j'ai quatre ou cinq photos différentes pour la réaliser. Ce n'est jamais un décalque complet, même s'il y en a quelques-uns, mais c'est très rare.
Dans vos dessins, on sent une approche esthétique du cadrage (probablement consciemment ou inconsciemment de vos études à l'IDHEC), mais il y a également une très grande présence d'architecture, notamment dans les dessins seuls : hommages, affiches, etc. C'est un sujet qui vous intéresse ?
Le cadrage est essentiel pour moi. Il y a des gens comme Dominique Corbasson, qui est illustratrice et une amie, qui fait des images sans cadre ; je ne comprends pas une image qui n'a pas de cadre, ce n'est pas possible. C'est essentiel le cadrage et donc il faut le délimiter par un cadre au trait.
Au départ tout vient des besoins que j'avais pour l'histoire. Il me fallait des décors ou de la recherche pour dessiner des voitures. Le design des voitures m'a toujours intéressé. Pareil pour l'architecture, et ce qu'il y a de bien avec l'architecture moderne, c'est qu'elle est très facile à dessiner. Une cathédrale gothique serait beaucoup plus difficile !
Le cadrage des cases vient tout de suite ?
Tout se décante dans la tête. Si on doit faire trop de recherches sur le papier, c'est mal parti. Parfois, on peut aller dans un sens, se tromper et revenir en arrière, mais d'une manière générale, tout me vient dans la tête avant. Pour mon blog par exemple, les idées m'arrivent souvent la nuit, en période d'insomnie et il faut que le texte soit ciselé, avant le dessin. Parfois, je me relève pour le noter. Comme je suis tenu à quelques cases seulement, il faut que le texte soit un peu comme un petit poème japonais, même si ce n'est pas de la poésie.
Lorsque l'on réalise un album comme "Hôpital", comment arrive-t-on ensuite à Blake et Mortimer ? Le style graphique et le scénario sont malgré tout à l'opposé ?
Je suis autodidacte dans le dessin, donc au départ je suis parti plutôt sur des dessins réalistes. J'ai deux influences importantes, d'abord Crumb, puis ensuite Giraud/Moebius et Tardi pour l'album Hôpital. Comme j'avais des moyens limités en dessin réaliste, la décision de dessiner façon Hergé était pratique, bien que son univers soit plus compliqué que l'on ne pense. "Blake et Mortimer" a toujours été pour moi une synthèse entre le réalisme et la ligne claire. La série n'a jamais été de la ligne claire, sauf dans le Mystère de la Grande Pyramide où c'est l'influence d'Hergé qui se manifeste. Mais j'ai surtout vu l'influence américaine puisque Jacobs a dessiné du Alex Raymond, surtout dans l'Espadon. Il y a un mix chez lui entre le dessin réaliste et la ligne claire. Et comme j'ai moi même fait les deux, j'ai retrouvé ces influences en travaillant sur les albums de Blake et Mortimer.
Pour l'album l'Affaire Francis Blake, vous deviez au départ le réaliser avec Floc'h, puis ce fut Jean Van Hamme. Cela n'a pas dû être simple comme projet. A-t-il été question que vous le fassiez un moment tout seul ?
Non. Avec Floc'h, cela n'a pas duré longtemps mais il ne faut pas minimiser son rôle dans la reprise. C'est lui qui m'en a parlé et qui m'a présenté à Didier Christmann (Directeur Editorial des Editions Blake et Mortimer à l'époque - ndlr). J'ai eu une longue conversation au téléphone avec Floc'h et c'est avec lui que j'ai établi les principes de base de l'Affaire Francis Blake : retour aux années 50, remettre en avant Blake et son métier. A la suite de ça, j'ai fait un synopsis de quelques pages où il y avait le début de l'histoire. Jean Van Hamme a ensuite réalisé le scénario.
Dans une interview pour le magazine Bodoï n°45 en 2001, pour la sortie de L'Etrange Rendez-Vous, vous disiez à propos d'André Juillard qu'il réussissait mieux Blake que Mortimer. Après trois nouveaux albums de sa part, que diriez-vous ?
C'est dur comme question. Nous avons tous nos défauts. Sur Blake, je trouve qu'il le fait parfois un peu trop mou. Je l'ai fait aussi. Il n'y a que Jacobs qui dessine parfaitement Blake. Juillard fait parfois pour des dédicaces un Mortimer un peu rigolard, ce côté bon vivant qui est assez étonnant, et qui parfois déteint sur son personnage dans les albums. Ce qu'il a du mal à faire, c'est la bedaine de Mortimer ! Mais c'est très dur à dessiner.
Il existe une rencontre (graphique) entre Ray Banana et Blake et Mortimer. Comment s'est-elle passée ?
C'est une commande d'un collectionneur, il me semble. Je l'ai mise sur le blog. Cela a été l'occasion de dessiner cette gare de Los Angeles que je n'avais jamais pu faire.
Et concernant le projet "Résurrection" en 2006, c'est-à-dire le scénario d'un album de Blake et Mortimer ?
C'est tombé à l'eau, j'ai essayé de le vendre une première fois à Claude de Saint Vincent (Directeur Général de Média Participations, qui détient les éditions Blake et Mortimer, ndlr), il y a déjà un moment… Puis à Yves Schlirf (Directeur Editorial des Editions Blake et Mortimer, ndlr), il y a deux ans et cela n'a pas été plus loin. Il y avait peut-être quelques faiblesses dans le scénario mais je l'aimais bien et on aurait pu aisément les résoudre. L'histoire se situait juste après l'Espadon. Je trouvais intéressant de faire quelque chose sur la bombe atomique et puis à la base, le personnage de Mortimer est un physicien atomiste. L'allusion à Nosferatu dans le scénario avait une connotation fantastique et dessiner une histoire dans des ruines, c'était vraiment très tentant, très Jacobsien. Graphiquement, il y avait beaucoup de ressources dans cette histoire.
Vous préférez travailler seul ou à deux sur un projet ?
Tout dépend. Pour le blog je préfère seul, mais pour des scénarios d'albums, j'aime bien travailler à deux. J'ai fait deux scénarios, un pour Thelma Ritter qui s'appelle "160 arpents" et que j'ai réalisé avec Madeleine DeMille. A deux, on sort des impasses plus facilement, on trouve des solutions auxquelles on n'aurait pas pensé tout seul. C'est intéressant.
Vous êtes plus à l'aise dans une histoire courte ou une histoire longue ?
En fiction, je préfère une histoire longue, cela ressemble plus à un film.
L'angoisse de la page blanche ?
Je ne me mets jamais devant une page blanche. Je laisse les idées arriver, on se met dans un état réceptif, souvent la nuit. Il n'y a rien de pire que de se mettre devant une page blanche et se dire "qu'est ce que je fais ?".
Pour l'album "La bande à Renaud", vous avez illustré la chanson "Le Père Noël Noir", comment s'est fait ce choix ?
Je ne sais plus. Ca remonte loin déjà. En général, sur ce type d'album, j'ai une liste de chansons ou de textes et j'en sélectionne une. A l'époque, j'étais en vacances en Irlande quand j'ai dessiné l'histoire. J'ai dû me décider très vite.
Si vous deviez illustrer une chanson d'un autre chanteur, vous choisiriez quoi ?
J'ai failli faire l'album de Dylan. Je pourrais en illustrer beaucoup. Si on me disait "prends un chanson de untel ou untel", je trouverais.
En 1987, pour la Fondation Daniel Balavoine, vous réalisez 2 magnifiques pages avec Ray Banana. Aucun texte si ce n'est le présentateur télé dans une case. Toute la force et l'histoire sont présentes dans les cases. L'image est plus forte que le texte pour vous ?
Il faut distinguer l'histoire et le texte, ce n'est pas la même chose. Je déteste le mot "scénariser", pour moi cela n'a pas de sens. On a l'impression que l'on a fait les dessins et que l'histoire est arrivée après. L'histoire est forcément avant ou au pire en même temps. Le texte, c'est-à-dire les dialogues ou le texte "off". Un scénario, c'est une histoire dans laquelle il y a des dessins, dans le cas de la BD, et des textes qui sont les dialogues. L'essentiel, c'est l'histoire. Après, il y a différents moyens de la faire sortir. Il y a les dessins qui sont essentiels, le texte, mais on ne peut pas faire une prépondérance de l'un sur l'autre.
Etes-vous un gros consommateur de bande dessinée ?
J'ai lu les classiques franco-belge quand j'étais petit, également le magazine Vaillant. J'ai consommé beaucoup d'albums quand j'ai commencé la bande dessinée. Mais ensuite, j'ai lâché prise.
Est-ce qu'il vous arrive de relire vos albums ?
Il faut les relire quand on les a un peu oubliés, c'est là que cela devient intéressant. On relit en se disant "c'est moi qui ai fait ça ?", c'est amusant. Mais cela m'est arrivé très rarement.
Quels sont vos projets en cours et futurs projets ?
A part arriver à faire passer en presse les dessins du blog et les sortir en album, j'ai en préparation un livre qui sera une sorte de grand portfolio qui regroupera plusieurs dessins que j'ai réalisés d'après des vieux articles de presse. C'est ce que j'appelle mon "inspiration mécanique populaire", j'en parle un peu dans mon livre "Nouveau Monde". C'est un vieux magazine genre Science et Vie dont j'ai acheté une quinzaine d'exemplaires de la fin des années 70. Je m'en suis servi dans plusieurs histoires dont Ray Banana. Ce livre va s'appeler "Un siècle de progrès", et portera un regard sur le XXe siècle et cette croyance aveugle sur le progrès dont on ne sait pas ce que cela va donner maintenant. Il y aura beaucoup de rétro-futur, en sortant du sarcasme, en faisant une sorte de constat.
Interview réalisée par Ludovic Gombert le 6 novembre 2011, pour le site marquejaune.com.