Pierre VEYS

Pierre Veys

Après la sortie du tome 1 des Aventures de Philip et Francis, avez-vous eu des réaction hostiles ou des reproches en parodiant une série mythique comme Blake et Mortimer ?
Il n’y a pas énormément d’albums de Blake et Mortimer, et nous donnons l’occasion aux lecteurs d’en lire plus sur leurs personnages favoris. Quand on aime une série, on est évidemment toujours content d’en découvrir plus. Les gens qui m’écrivent pour me parler de « Menaces sur l’Empire » semblent l’apprécier comme un Blake et Mortimer. La lecture du premier tome ne les a pas surpris et ils l’ont lu de façon « naturelle ».

C’est la même chose pour Baker Street : on retrouve Sherlock Holmes et le docteur Watson. Et le fait de raconter leurs aventures sous l’angle humoristique ouvre d’autres portes sur un univers qui nous accompagne depuis l’enfance, pour beaucoup d’entre nous.

Comment avez-vous abordé ce deuxième tome, après le succès du premier ?
Avant d’écrire le premier tome, dans l’enthousiasme des grands projets, j’avais spontanément réfléchi sur la série et son déroulement. J’ai donc développé les grandes lignes des premiers tomes avant de commencer à écrire. « Le Piège Machiavélique » était là dès le départ, et prévu pour être le tome 2.

Ce tome 2 a-t-il été plus difficile à concevoir que le premier ?
Je n’ai pas ressenti de différence en l’écrivant. J’avais vraiment envie de raconter cette histoire. Pour moi, Philip et Francis est très plaisant à imaginer et à écrire, même s’il faut rester fortement concentré pour que le tout soit cohérent.

Certaines scènes m’ont fait rire en les imaginant, puis en les écrivant. Idem quand je les mime (sans témoins…) pour tester leur réalité physique. Au départ, je les imagine toujours de façon photographique, et c’est rare que je les change en les écrivant.

Quelle a été la première idée ou le premier concept pour ce nouveau scénario ?
Je tiens absolument à préserver le plaisir de lecture. Les surprises et le suspense tiennent une place importante dans ce tome 2, et j’aimerais que le lecteur commence à le lire en ne sachant pas ce qui va se passer. Dargaud a bien joué le jeu et on n’a rien dévoilé qui pourrait gâcher le plaisir de la découverte (si malgré tout, une information a filtré, le coupable sera cruellement puni).

Pour une autre série, je me souviens avoir travaillé et souffert sur une enquête complexe où j’avais installé de nombreux mystères et d’importantes révélations à la fin. Et lorsque j’ai lu le texte de présentation de l’éditeur, j’ai vu que tout était dévoilé dans le moindre détail ! Horreur !!!

Tout ça pour dire que je ne lâcherai rien ! Même pas la première idée.

Relisez-vous tous les Blake et Mortimer avant d'écrire une nouvelle aventure ?
Non, pas tous. Mais j’en ai quelques-uns à côté de moi tout le long de l’écriture. Un album comme La Marque Jaune est très difficile à mémoriser ; il contient un nombre invraisemblable d’informations.

Dans « Menaces sur l’empire », il y a une scène où Philip et Francis attendent le bus. Je me suis souvenu qu’il existait une scène semblable dans La Marque Jaune et nous nous sommes amusés à la reconstituer partiellement.

Idem pour la scène où Philip entre chez lui comme un cambrioleur : elle est faite en parallèle avec la célèbre scène d’Olrik. Ensuite, ces deux petits farceurs de Sente et Juillard en ont fait un double clin d’œil dans « Le Sanctuaire du Gondwana ».

Comment se passe le travail entre Nicolas Barral et vous ?
On travaille surtout chacun de notre côté. On se met d’accord au stade du crayonné pour le résultat final. Comme nous avons la chance d’oeuvrer ensemble depuis longtemps, nous nous connaissons bien, et nous nous relançons virtuellement la balle par l’intermédiaire des planches.

Tous les gags visuels sont-ils écrits à l'avance, ou bien certains sont-ils rajoutés au fur et à mesure ? Nicolas Barral propose-t-il des idées ?
Qu’entendez-vous par « gags visuels » ?

Par exemple, dans le tome 2, planche 1, le coup du masque à gaz dans le fumoir du Centaur Club, est de qui ?
C’est un gag à la Pétillon première période, qui est dans le scénario. Ca doit être le seul du genre dans l’album, je crois.

Il y a beaucoup de références cinématographiques éclectiques dans le premier tome : Brigitte Bardot, Le Jeu de la Mort de Bruce Lee, Le Corniaud, Drôle de Drame... Hasard ? Volonté ?
J’espère que je le fais exprès. Sinon, c’est grave. Là encore, je n’en abuse pas. Ca doit se fondre naturellement dans l’histoire, sinon ça parasite et il vaut mieux éviter.

Pourriez-vous concevoir une histoire sans Olrik (je n'ai pu lire que les 3 premières planches du tome 2, donc si Olrik n'apparaît pas, ma question est idiote. si !) ?
Je ne me suis pas fixé de limites stratégiques pour les histoires. Dans le Piège Diabolique, Jacobs met en scène Mortimer seul, ou presque, et c’est une histoire qui fonctionne formidablement bien. Ce n’est pas évident, car se passer d’un des éléments d’un tandem peut vite être frustrant, mais l’histoire prenante du Piège Diabolique compense l’absence de Blake.

Ce tome 2 semble suivre (du moins dans les premières planches) une ressemblance avec le Piège Diabolique tandis que le Tome 1 était une pure invention (bien que proche de la Marque Jaune sur certaines planches) ?
Oui, ce tome 2 semble suivre (du moins dans les premières planches) une ressemblance avec le Piège Diabolique.

Bien essayé !

Est-ce qu'il y a des gags qui vous amusaient mais que vous vous êtes refusé à intégrer dans l'histoire (tome 1 ou 2) car ils ne correspondaient pas à "l'esprit" de l'album ?
Non. Les gags que j’ai imaginés ne sont pas indépendants et font partie de l’histoire. De plus, les personnages sont dans la continuité du tome 1, et tout doit également rester cohérent par rapport à celui-ci.

Comment avez-vous trouvé les habitudes et attitudes de chaque personnage afin de les détourner de leurs homologues originaux ? Par exemple Mortimer accro à la nourriture...
Jacobs utilise une gestuelle particulière pour chaque personnage. Par exemple, ce qui m’avait frappé lors des premières lectures, c’est la position particulière de Mortimer lorsqu’il se met en garde de boxe. J’ai tenu à la représenter lorsqu’il est confronté à la géante, par exemple. Cela suggère un physique plutôt râblé. Et comme je trouve que Philip a l’air d’un bon vivant, je me suis dit qu’un léger manque de volonté au niveau de l’alimentation était tout à fait plausible.

Francis est beaucoup plus discipliné. On l’imagine très bien faire des pompes et des abdos dans sa chambre ; surtout quand il attend la visite d’une de ses collègues. Francis est un dur qui aime beaucoup sa maman, ce qui n’est nullement incompatible.

Une fois que l'on a lu le premier tome, il y a quelque chose de bizarre. On oublie presque Blake et Mortimer pour découvrir finalement de nouveaux personnages, très attachants. Avez-vous aussi ce sentiment ?
L’amitié entre les deux est déjà bien exposée chez Jacobs. En tout cas, je l’ai toujours ressentie, à la lecture. Jacobs pense évidemment à celle qui existe entre Holmes et Watson pour Blake et Mortimer. D’ailleurs, on voit Madame Benson, la logeuse, qui apporte le thé dans La Marque Jaune. Jacobs aussi faisait des clins d’œil.

Cette amitié peu démonstrative, formelle, à l’anglaise, est forte et nous permet de ressentir le côté très attachant des personnages. Pour moi, c’est naturel : j’aurais du mal à écrire sur des personnages qui me seraient indifférents. Et en développant leurs caractères, on se glisse plus facilement dans leur intimité.

Avez-vous une préférence pour un personnage dans Blake et Mortimer, ainsi que dans Philip et Francis ?
Dans B&M, j’aime Mortimer, évidemment. D’ailleurs, je l’ai toujours perçu avec les caractéristiques de Philip, même dans le dessin. Je suis sûr que Jacobs devait lutter pour ne pas le faire un peu plus fantaisiste.

Dans Philip & Francis, je ne crois pas avoir de préférence. Je les aime tous, même le perroquet de Churchill.

En 2004, dans le magazine Pilote, vous avez réalisé deux planches "Le Réveillon Diabolique" avec le Chronoscaphe. Ce dernier n'apparaît que dans le tome 2. Vous aviez envie de le mettre plus en valeur ? Ou est-ce juste un élément pratique qui permet de relancer l'histoire (voyage dans le temps) ?
J’aime beaucoup l’esthétique du Chronoscaphe. J’ai profité de l’histoire courte dans Pilote pour le ressortir des cartons, comme nos décorations de Noël.

Olrik semble être tout droit sorti d'un cartoon et se rapproche plus du coyote dans Bip-Bip, c'est-à-dire un looser, comique malgré lui. Totalement à l'opposé du personnage réel, sans scrupule, de Jacobs.

Philip et Francis traitent son cas un peu à la légère devant le premier ministre, mais ils savent quand même que le personnage est nuisible et qu’il a de la ressource. Je ne pense pas qu’il soit très éloigné du personnage réel : comme lui il perd toujours, et il n’a aucun scrupule. Par contre, on a plus de mal à le prendre au sérieux, c’est sûr. Il faut dire aussi qu’il n’est pas aidé, avec des comparses comme Sharkey et Slim.

Un troisième tome est-il prévu ? Si oui, quand, comment, quel titre, quel sujet, nombre de pages, grammage du papier...
La suite est prévue *. Alors pour le sujet…Vous voyez le thème du troisième chapitre du Piège Diabolique ? Eh bien, c’est un peu le contraire.

Vous avez œuvré - entre autres - sur Achille Talon et Boule et Bill. Est-ce qu'il y a une (ou des) série sur laquelle vous aimeriez travailler ?
Si on est dans le phantasme, je me lance : Tintin, évidemment (Nick, si tu nous regardes…). Gil Jourdan, ce serait génial à poursuivre, dans l’esprit des huit premiers albums.

Lucky Luke. Ce sont les plus impressionnants scénarios que je connaisse. Morris y était pour beaucoup aussi. Gaston, bien sûr. La sensibilité et la sincérité de Franquin étaient uniques.

Vous avez réalisé le scénario de la BD Bienvenu chez les Ch'tis (Danny Boon). Didier Tronchet est également du nord. Y-a-t-il un humour propre à cette région ?
J’aime beaucoup Tronchet. Et Binet aussi, mais ça n’a aucun rapport, il n’est pas du Nord. Enfin, je ne crois pas.

Je ne pense pas qu’il y ait un humour propre au Nord. Difficile de trouver un lien entre Boon, Delépine, Devos, Raoul de G, Tronchet… Et l’accent n’est pas vraiment utilisé, contrairement aux Marseillais, par exemple.

Quelles sont vos prochaines réalisations ?
La guerre du Pacifique.

Enfin, que pourrait dire un Philip ou un Francis (voire un Olrik) à la vue du site MarqueJaune.com ?
D’abord, ils seraient probablement surpris en découvrant internet. Ensuite, ils chercheraient à savoir quel est le mystérieux personnage qui se cache derrière ce site diabolique…

* C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?!! (note de l’éditeur)


Interview réalisée par Ludovic Gombert le 19 janvier 2011